Le débat auquel les Français sont invités à participer est mal posé. Ce débat est lancé par un ministère qui lie honteusement "immigration" et "identité nationale". Et cela fait retour sur les pires heures de notre histoire.
Cela rappelle les années 1930, époque de la grande crise économique, où il était si facile de développer tout un discours nauséabond dans lequel l'antisémitisme, la xénophobie, le racisme se donnaient libre cours. Ainsi dans cet article, honteux, du journal d'extrême droite "Gringoire", Henri Béraud, futur Kollaborateur, écrivait le 7 août 1936, : « Par toutes nos routes d'accès transformées en grands collecteurs, coule sur nos terres une tourbe de plus en plus grouillante, de plus en plus fétide. C'est l'immense flot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs slaves, de l'affreuse misère andalouse, de la semence d'Abraham et du bitume de Judée. [...] Doctrinaires crépus, pollaks mités, gratins des ghettos, contrebandiers d'armes, pistoleros en détresse, espions, usuriers, gangsters, marchands de femmes, de cocaïne, ils accourent précédés de leur odeur, escortés de leurs punaises. [...] Naguère les Russes, ensuite les Polonais, puis les Grecs, puis les Italiens qui suivirent les Allemands, précédant les Espagnols. [...] A qui le tour ? Sous couleur de droit d'asile on laisse entrer pêle-mêle et sans la moindre précaution réfugiés politiques et condamnés de droit commun - tous d'accord au moins sur un point le droit qu'ils s'arrogent de nous traiter en pays conquis. »
Aujourd'hui heureusement un tel article ne pourrait paraître, la loi l'interdit, mais il suffirait de peu, juste changer les peuples cités, pour entendre hélas de tels propos. A cette époque sont avant tout ainsi désignés à la vindicte populaire, les Juifs d'Europe centrale et orientale, réfugiés politiques fuyant le nazisme et l'antisémitisme ou réfugiés pour raisons économiques. Une telle préparation des esprits devait conduire de 1940 à 1944 à la politique que l'on sait en France, exclusion, marquage, arrestation, internement, déportation et assassinat des Juifs, cela avec l'accord du chef de l'Etat, le maréchal Pétain, lui qui avait fait diffuser partout en France son portrait portant en surimpression : "Etes-vous plus français que lui ?" !!!. La France qui n'a pas su protéger - à titre d'exemple - Georges Charpak, immigré sans papier de l'entre-deux-guerres, juif, résistant, déporté ... et devenu aujourd'hui gloire nationale comme prix Nobel de physique. Certes l'histoire ne repasse jamais exactement le même plat mais l'expérience du passé doit nous servir à analyser le présent.
Au moment où l'enseignement de l'histoire et de la géographie, disciplines essentielles pour la formation du citoyen se trouve destiné à disparaître en terminale S - l'année de plus grande maturité pour la plupart des lycéens -, l'identité nationale de la France des droits de l'homme, de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la laïcité est bien mise à mal. Et si l'on peut apprécier l'effort du Président de la République pour rehausser le débat au-delà des propos du café du commerce, on peut regretter par contre que dans un pays laïque il ne fasse référence qu'à l'identité religieuse de ses concitoyens. Redisons-le encore, cette association des termes "immigration" et "identité nationale" est inacceptable, ce ministère doit disparaître, et les prises de position sur l'identité nationale montrent qu'il s'agit surtout de stigmatiser les musulmans : seraient-ils devenus les Juifs d'aujourd'hui, dans l'imaginaire français ?
Maryvonne Braunschweig est professeur d'histoire et de géographie.
mercredi 6 janvier 2010
Identité nationale et enseignement de l'histoire
Libellés : Opinions