jeudi 16 juillet 2009

Entretien avec le Dr Hibon ancien pédiatre de la crèche municipale d'Avon

PDV : La mairie d’Avon a décidé lors du conseil municipal du 30/6/2009 de transférer la gestion de la crèche et du multi-accueil à une société privée, qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas vraiment une surprise, depuis plusieurs années la mairie a laissé la situation de la crèche se dégrader. Abandonner la crèche familiale municipale pour la petite enfance à une entreprise commerciale, est un aveu d’un relatif désintérêt pour ce service à la population que l’on externalise.

PDV : Vous avez longtemps été le pédiatre attaché à la crèche familiale d’Avon ?

Je suis arrivé à Avon en 1974. Jeune pédiatre à l’hôpital de Fontainebleau, j’ai très vite collaboré au projet de crèche familiale lancé par Pierre Pic, maire d’Avon et mis sur pied par la CAF quelques années auparavant. Dès janvier 1975, j’ai été recruté pour être le pédiatre référent de la crèche. Nous souhaitions donner la possibilité à de jeunes mamans de poursuivre leur activité professionnelle, la municipalité offrant un service de garde d’enfant de qualité et à taille humaine. L’idée d’organiser une crèche familiale et non pas collective, reposait sur un projet pédagogique doublé d’une étude financière (la crèche familiale est nettement moins coûteuse).

Pendant 32 ans, j’ai assuré le suivi médical et participé à la formation de nombreuses assistantes maternelles. Sous l’impulsion de Mme Février, dynamique directrice de la crèche, nous avions, dans les années 1980, plus de 150 enfants qui étaient accueillis par au moins 70 assistantes maternelles travaillant à domicile. Nous étions la plus importante crèche familiale du département, nous avons innové dans les projets pédagogiques et même ouvert des places à des enfants handicapés qui étaient refusés ailleurs.

PDV : Comment en est-on arrivé à cette situation où la commune baisse les bras et renonce à assurer ce service qui est une des ses missions premières ? ( la mairie parle de difficultés de recrutement)

Dans les années 90, la CAF, pour respecter la nouvelle loi, a limité la taille des crèches collectives ou familiales à 100 places et l’accueil sur 3 ans maxi. En 1995, le nouveau maire, Jean-Pierre Le Poulain, n’a pas mis les moyens nécessaires pour poursuivre le travail entrepris et ce malgré de nombreuses demandes. Les priorités semblaient avoir changé. Il s’en est suivi d’importants flottements dans la gestion administrative de la crèche : le personnel communal et les élus n’étaient pas motivés pour gérer une activité exigeante.

Dans une crèche, les problèmes sont quotidiens : tous les jours les parents déposent leur bébé et attendent un service irréprochable.

La directrice a pris sa retraite, elle a été remplacée par une personne diplômée mais moins compétente qui n’a pas su fédérer les énergies. L’équipe d’encadrement s’est sentie dévalorisée et non soutenue dans ses initiatives (plusieurs postes ont été supprimés). Beaucoup d’assistantes maternelles sont parties s’installer en libéral. Il reste environ 30 enfants et 15 assistantes. Le suivi n’est toujours pas informatisé correctement pour la PSU (Prestation de Service Unique) alors que les logiciels existent. La directrice a quitté son poste, alors que j’avais démissionné en juin 2007 en raison de notre impossibilité à communiquer. Il semble que le maire referme maintenant un dossier qui ne l’intéresse pas vraiment.

PDV : Socialement, il y a le problème des contrats des personnels employés par la crèche, qui sont remis au bon vouloir d’une entreprise privée ?

Plusieurs salariés approchent de la retraite après une carrière complète dans le secteur public, j’espère que l’entreprise privée concessionnaire saura valoriser leurs compétences.

PDV : Economiquement, c’est près de 10% du budget de la ville qui sera transféré chaque année vers le prestatataire, le coût par enfant est très élevé ( on parle de plus d’un million d’euros pour 50 places) ?

Ce qui me gêne dans ce montage c’est que la ville supporte le risque financier . C’est une fausse délégation de service public, quand la société des eaux assure un branchement, le particulier lui règle directement la prestation.
J’avais sollicité un regard sur la gestion de la crèche, ce qui m’a toujours été refusé alors que dans les premières années, la directrice et moi-même, étions entendus par le conseil municipal quand il s’agissait de prendre des décisions importantes, sans oublier les commissions de la petite enfance qui tenaient régulièrement compte de notre avis.

PDV : Humainement : la garde d’un petit enfant n’est pas un simple service commercial ?

C’est là le nœud du problème : il faut beaucoup de talent pour animer une crèche familiale. Les normes sanitaires sont contraignantes, la réglementation est complexe, un projet pédagogique doit être validé. Il faut s’adapter aux enfants qui sont tous différents, et aux parents dont les horaires sont de plus en plus chaotiques. Un multi-accueil ne peut être rentable : si le gérant, pour avoir une occupation maximale, impose des contraintes trop rigides, alors les parents n’utilisent plus la structure et sollicitent les assistantes maternelles libérales.

En ce qui concerne l’accueil chez une assistante maternelle dans le cadre de la crèche familiale, on peut dire qu’il existe une alchimie qui fait que cela se passe bien. C’est un métier autant pour l’encadrement que pour les assistantes.
Pendant les années de mon activité à Avon, grâce à un encadrement motivé, les choses se sont bien passées dans la sérénité et il n’y a pas eu de problème grave.

PDV : A Proches de Vous, nous privilégions une solution mixte : nourrices agréées suivies par la PMI et crèche familiale, qualité de prestation, souplesse et coût raisonnable. Quelle solution recommanderiez-vous ?

C’est déjà ce qui se passait jusqu’à maintenant. L’intérêt de la crèche familiale, entre autres, est le fait que les parents n’aient pas de relation financière avec l’assistante maternelle de leur enfant.
Faisons un essai de prestataire privé ! Il apportera des méthodes de gestion et un savoir-faire. Mais surveillons de très près l’opération pour éviter un dérapage incontrôlé. Et vérifions que la qualité promise soit réelle, avec la souplesse et une pédagogie satisfaisante.
Il ne faudrait pas que l’on transforme un « accueil » des petits en une « garde », sans projet pédagogique solide. Il n’est pas suffisant de les recevoir et de les garder jusqu’au retour des parents comme on le faisait « au XIX ème siècle » …


Dominique Hibon est docteur en médecine, pédiatre et Avonnais.